Les styles et genres de musiques expérimentales

La musique expérimentale ne peut être considérée comme un genre musical mais plutôt comme un ensemble de techniques et d’innovations de capture et de traitement du son donnant naissance à des nouvelles formes d’expression sonore. Elle se caractérise avant tout par son rejet des conventions musicales établies.

Le terme “musique expérimentale” a vu le jour dans les années 1950/1960 et a donné naissance à de nombreux sous-genres différents, chacun avec sa propre approche et ses propres influences. 

Voici un aperçu des principaux genres que l’on attribue à la musique expérimentale.

Le noise et la musique bruitiste

La musique bruitiste est un genre musical qui utilise des sons bruts et réels comme des cris, des grincements ou des sons de machines pour créer une musique qui reflète le bruit de la vie quotidienne. Ces sons sont enregistrés et manipulés électroniquement pour créer des compositions sonores abstraites et expérimentales.

Parmi les pionniers de la musique bruitiste, on peut citer l’artiste Luigi Russolo, qui a publié un manifeste en 1913 intitulé « L’art des bruits », dans lequel il propose de considérer les bruits de la vie quotidienne comme une source musicale valable et pose les bases de la musique bruitiste et, plus tard, de la musique noise. Il a également créé une série d’instruments générant des bruits, appelés « intonarumori », qui ont été utilisés dans ses compositions et dans des représentations.

Le noise est caractérisé par l’utilisation de sons bruts, non conventionnels et souvent désagréables pour créer une musique allant toujours à l’encontre des conventions musicales traditionnelles. Les sons sont souvent traités pour créer des textures sonores épaisses et saturées, avec des distorsions et des feedbacks, produisant des sonorités violentes et abrasives.

Les artistes de noise incluent des groupes tels que Throbbing Gristle, Sonic Youth, Merzbow, Whitehouse, et d’autres encore. 

Les deux genres ont souvent été associés à des mouvements artistiques et sociaux radicaux. Les artistes ont utilisé ces genres pour remettre en question les normes esthétiques et sociales, ainsi que pour exprimer leur opposition à la culture de masse et à la société de consommation.

La musique concrète et les objets sonores

La musique concrète est un genre musical moderne produit par l’invention de différents sons grâce à des enregistreurs et des techniques de manipulation du son. Les sons sont captés et retravaillé par la suite, par superposition, par variation de vitesse, par filtrage électronique, ou par toute autre méthode de travail du son, qu’elle soit mécanique ou électronique. C’est ce qu’on appelle les sonorités électroacoustiques. On n’utilise pas des instruments, mais des objets, dits objets musicaux comme source

Le terme concret provient du fait que cette musique est produite à partir du concret de l’écoute, et non à l’aide de systèmes définis comme les partitions. La musique concrète s’oppose donc à la musique abstraite dont la composition se fait sans entendre le résultat sonore de la musique.

Pierre Schaeffer a été l’un des pionniers et des acteurs les plus influents de la musique concrète. Il a créé le Groupe de Recherche de Musique Concrète (GRMC) en 1951 (devenu le « Groupe de Recherche Musicale » en 1958, sous la direction de la RTF), qui avait pour objectif d’explorer les possibilités de la musique concrète en utilisant des techniques d’enregistrement et de manipulation de sons. Il organisa la Première Décennie Internationale de la Musique Expérimentale du 8 au 18 juin 1953 à Paris.

Le GRMC a produit plusieurs œuvres importantes, dont « Symphonie pour un homme seul » (1950) et « Orphée 53 » (1953), toutes deux créées par Pierre Schaeffer et Pierre Henry.

Pierre Schaeffer a également écrit plusieurs livres importants sur la musique concrète, dont « Traité des objets musicaux » (1966), qui est considéré comme l’un des textes fondateurs de ce genre musical. Dans ce livre, il développe sa théorie de la « musique concrète » qui consiste à créer des compositions sonores à partir de sons enregistrés et manipulés. Schaeffer a également évoqué la notion d’objets sonores, considérant chaque son enregistré comme une entité autonome pouvant être extraite de son contexte d’origine et traitée de manière indépendante. Selon lui, chaque son était un objet sonore potentiel, susceptible d’être utilisé dans la création d’une œuvre musicale.

la musique Drone

La musique drone est un genre musical qui se caractérise par des sons prolongés, souvent monotones, créant une ambiance hypnotique et contemplative. Les drones peuvent être produits par plusieurs instruments traditionnels comme les instruments à cordes, les harmoniums ou les didgeridoos, mais aussi par des instruments et synthétiseur électronique au-delà des années 1960.

L’utilisation du drone remonte à l’Antiquité, où il était utilisé dans des pratiques religieuses ou méditatives. Il a également été utilisé dans diverses cultures traditionnelles notamment la musique indienne avec la présence des sitars.

Le drone est un son continu, sans interruption ni variation de hauteur, qui peut être produit par une note tenue sur un instrument ou par des techniques de boucle ou de répétition. Le son est souvent enrichi par des effets et des harmoniques offrant une ambiance évolutive et immersive. 

Le drone a été popularisé en Occident dans les années 1960 par des artistes tels que La Monte Young, Terry Riley ou encore Tony Conrad. 

La Monte Young, considéré comme l’un des fondateurs du mouvement minimaliste, a créé des œuvres telles que « The Second Dream of the High-Tension Line Stepdown Transformer » (1962) ou « The Black Record » (1969), qui utilisent des drones de longue durée pour créer une expérience immersive et méditative.

Au-delà de ses racines historiques, le drone a été utilisé dans plusieurs contextes musicaux, notamment dans la musique électronique où les synthétiseurs et instruments numériques ont permis, dès les années 60,  la génération de sons infinis, mais aussi dans le rock psychédélique ou la musique ambient.

John Cage et la musique d’avant garde américaine

John Cage est l’un des compositeurs les plus influents de la musique d’avant-garde américaine du XXe siècle. Né en 1912 à Los Angeles, il a commencé sa carrière en tant que compositeur de musique conventionnelle, mais s’est rapidement tourné vers des formes plus expérimentales.

Il a été l’un des premiers compositeurs à explorer la musique électronique et à utiliser des technologies comme le magnétophone pour créer des œuvres sonores. Il a également été l’un des premiers à utiliser des instruments préparés, qui sont des instruments de musique modifiés ou augmentés avec des objets tels que des clous, des boulons et des papier aluminium pour produire des sons inhabituels.

Cage était également intéressé par les idées philosophiques et les pratiques spirituelles orientales, en particulier le bouddhisme zen, qui ont eu une influence sur sa musique. Il a développé des techniques de composition basées sur le hasard, comme l’utilisation du I Ching, un ancien livre chinois de divination, pour déterminer les notes et les structures de ses œuvres.

L’une des œuvres les plus célèbres de Cage est « 4’33″ », une pièce de musique qui consiste en quatre minutes et trente-trois secondes de silence, au cours desquelles l’audience est invitée à écouter les sons ambiants dans la salle de concert. Cette pièce représente l’idée de Cage selon laquelle tous les sons, même les plus ordinaires, peuvent être considérés comme de la musique.

Les expérimentations de la musique électronique 

La musique électronique est une forme de musique expérimentale qui utilise des sons produits par des synthétiseurs, des ordinateurs, des échantillonneurs et d’autres dispositifs numériques pour créer des compositions sonores. Cette forme de musique a émergé au cours des années 1950 et 1960 en même temps que l’évolution des technologies sonores.

La musique électronique a connu plusieurs mouvements au cours de son histoire. Au début, la musique électronique était souvent associée à des expérimentations scientifiques et à des mouvements artistiques comme le mouvement futuriste et le mouvement Dada.

Dans les années 1960, la musique électronique a connu un autre mouvement important avec le développement de la musique concrète et de la musique électronique en direct. La musique concrète utilisait des enregistrements de sons concrets qui étaient modifiés électroniquement pour créer des compositions sonores. La musique électronique en direct, quant à elle, utilisait des synthétiseurs pour créer des sons en temps réel.

La musique électronique est devenue encore plus expérimentale dans les années 1990 et 2000, avec l’émergence de genres tels que la musique ambient, la musique drone et la musique glitch. Ces genres ont été caractérisés par l’utilisation de sons électroniques complexes, qui ont été manipulés pour créer des compositions sonores uniques.

La musique expérimentale dans le Jazz 

Dans le jazz, la musique expérimentale est incarnée par le jazz d’avant garde et le free jazz, deux mouvement très semblables, apparus dans les années 50 par opposition au bebop et tous deux éloignés des harmonies traditionnelles.

Ces mouvements rejettent les conventions et les structures musicales de base du jazz traditionnel, comme les progressions d’accords et les formes de chansons préétablies et parfois même la notion de rythme.

Le free jazz, apparu dans les années 50 avec des artistes comme Ornette Coleman et Cecil Taylor, est souvent considéré comme l’une des formes les plus radicales et expérimentales de jazz laissant une place totale à l ’improvisation collective.

Parmi les musiciens de jazz expérimental les plus connus, on peut citer John Coltrane, Sun Ra ou encore Archie Shepp.

La musique expérimentale dans le jazz a souvent été critiquée pour son manque d’accessibilité, mais elle reste une branche importante du jazz ayant cassé les codes des mouvements traditionnels comme le bebop, la hardbop et le jazz modal, et a influencé de nombreux artistes bien au delà de la frontière du jazz.

La musique expérimentale dans le rock

Le rock expérimental est un genre musical qui s’est développé à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Il se caractérise par l’utilisation de structures de chansons non conventionnelles, de textures sonores expérimentales, de solos de guitare et de synthétiseurs, ainsi que d’influences de différents styles de musique, tels que le jazz, la musique classique et la musique électronique.

Le rock expérimental a émergé à une époque où les musiciens cherchaient à s’émanciper des conventions du rock and roll et à explorer de nouvelles formes d’expression musicale. Certains des groupes les plus célèbres du rock expérimental incluent Pink Floyd, The Velvet Underground, King Crimson, Frank Zappa et Captain Beefheart.

Le rock expérimental a connu de nombreux sous-genres au fil des ans, tels que le rock progressif, le krautrock, le rock psychédélique, le post-rock, le noise rock et le math rock, pour n’en nommer que quelques-uns. Les groupes de rock expérimental ont souvent été associés à une imagerie visuelle forte et à une attitude contre-culturelle, et ont influencé de nombreux autres genres musicaux tels que le punk rock, le grunge, le shoegaze et l’indie rock.

La musique microtonale

La musique microtonale est une forme de musique qui utilise des intervalles de hauteur plus petits que les demi-tons traditionnels de la musique occidentale. Les artistes travaillant dans ce domaine cherchent souvent à explorer les textures sonores et les possibilités expressives offertes par ces intervalles plus petits. Parmi les artistes les plus importants dans ce domaine figurent La Monte Young, Alvin Lucier et Ben Johnston.

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